Page 16 Memoire_Daveloose
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A 2 kilomètres du sommet, on stoppa le convoi afin de regrouper hommes et matériels et
aussi de se dégourdir les jambes par un pas de gymnastique qui avait aussi pour effet de
nous réchauffer. Dans la montagne paissaient des troupeaux dont le tintement des cloches
se répandait indéfiniment par delà les monts. Au fond des vallées de petits villages se
laissaient admirés, le coup d'œil était superbe et le coin ravissant si nous n'étions pas de
pauvres fuyards, de malheureux partant toujours plus loin, à l'aventure, ne sachant ce que
demain réserverait d'humiliation et de chagrin. Ce coin, dis-je aurait revêtu tout son charme,
toute sa splendeur s'il avait été découvert par nos yeux aux heures de paix, au cours de
vacances et avec nos êtres chers qui, à ce moment, devaient souffrir comme nous souffrions
de l'absence totale de nouvelles. Tous, je suis certain, pensaient aux absents chéris oubliant
la nature pour ne voir se dresser devant leurs yeux, l'image de la femme, des enfants, des
parents laissés dans la tourmente. Les visages reflétaient une immense tristesse et les
coeurs, une fois de plus, étaient torturés. Chacun d'entre nous savait ce que pensait son
voisin et l'on tentait de se réconforter les uns les autres, par des mots et des phrases d'un
optimisme exagéré qui ne trompait personne.
Enfin le dernier camion nous ayant rejoint, on laissa souffler son moteur, puis après m'être
assuré que tout le monde pouvait repartir, je montais près de Sam et le convoi se remit en
route. Après la montée, c'était la descente qui nous attendait et cela ne valait guère mieux,
on continua à rouler à une vitesse de 15 km croisant en chemin, aux endroits des virages les
plus dangereux, un nombre impressionnant de véhicules qui avaient versé dans les ravins.
Nous eûmes une pensée funèbre pour ces malheureuses victimes.
C'est sans incident que l'on arriva à l'entrée de Saint-Rour. Comme cela était convenu avec
le Capitaine, nous nous sommes arrêtés. Après avoir attendu 45 minutes, admirant la ville
perchée sur ce piton, on reçut l'ordre d'entrer dans Saint-Rour où l'on nous regroupa sur la
place de la ville basse. On eut la joie de retrouver, dans la cohue, une quinzaine de
camarades et leurs camions que nous avions perdus de vue, ainsi que le Commandant
Magnier, les lieutenants Michaux et Clément. Ce fut une grande joie tant chez les officiers
que sous-officiers et hommes de troupe, le bonheur de chacun était réel. C'était autant
d'hommes dont les noms ne figureraient pas sur la liste, déjà longue, des victimes. Le groupe
de Saint-Rour se trouvait composé d'un Commandant, d'un Capitaine, deux Lieutenants, cinq
Maréchaux des Logis, soixante-dix brigadiers et hommes de troupe. Matériel roulant : 36
voitures plus deux motocyclistes. L'heure sonna de la distribution des casse-croûtes : pain,
saucisson et comme nous avions une boîte de singe, on l'ajouta au menu. On alla ingurgiter
le tout dans un café où l'on trouva le vin délicieux, chacun paya son litre. Nous avions encore
des fraises de Marsat, elles complétèrent le repas. La pluie s'était mise à tomber
abondamment, on regagna notre chambre ou plutôt notre voiture qui nous servait, une fois
de plus, de dortoir. Au clocher de l'église, la cloche sonnait ses onze coups et l'on essaya de
trouver, dans le sommeil, la récupération des forces physiques et l'oubli.
Vendredi 21 juin
Après avoir très peu dormi, dès 5 heures, j'étais réveillé et profitais d'une accalmie du temps,
pas mal arrosé depuis la veille au soir, pour sortir de voiture et marcher un peu afin de me
dégourdir les jambes ankylosées. Je rencontrais d'autres copains qui, comme moi, se
promenaient. On partit à la recherche d'un bistrot ouvert pour absorber un café bien chaud,
en vain. On apprit que les cafés n'ouvraient qu'à 6h30....Sur la place, une colonne, plus
heureuse que nous, avait conservé sa cuisine roulante, le feu y était et le jus chauffait. Notre
roulante où était-elle ? Partie de Verdun le vendredi matin 14 juin accrochée derrière un
fourgon rempli de ravitaillement, nous l'avions vue pour la dernière fois à Dieue s/Meuse.
Cette petite colonne avait à sa tête, notre ami le sous-officier Henri Petit à qui le
Commandant avait confié sa jument au départ de la Citadelle. Ce cortège ambulant de
voitures hippomobiles, de soldats à vélo ou hissés sur des fourgons ne pouvait faire des