Page 11 Memoire_Daveloose
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Il nous parût surpris de nous voir si vite et nous donna l'ordre de continuer. Quant à lui, il
disparut à l'horizon et nous ne devions le retrouver qu'à Curdin.
Nous avancions à une vitesse moyenne de 25 km/heure ayant derrière nous des voitures
chargées qui ne pouvaient prétendre faire plus vite. On traversa ainsi de jolis patelins aux
habitants endimanchés. Jour dominical, jour de repos, aussi le long du parcours, les gens se
rassemblaient pour nous regarder passer et nous envoyaient de la main des gestes amicaux.
A Montceau-les-Mines, la chaleur était devenue accablante et, dans les petites voitures, on
étouffait. Etant chef de file, je décidais que nous irions nous rafraîchir au premier bistrot à la
sortie de la ville. J'ai profité de cette halte pour me laver à grandes eaux. La débitante, qui
était très gentille, mit à ma disposition le nécessaire de toilette. A 11h30, nous quittions le
café. Un détail nous impressionna : à peu de distance, on traversa une petite localité où l'on
fut salué par des communiants. Heureux enfants qui souriaient à ce cortège de misère ne
pouvant comprendre l'étendue du désastre et l'avenir sombre qui s'ouvrait à eux. Nous
pensions à nos chers petits et nos cœurs saignants se gonflaient. Enfin, réagissant contre le
cafard qui nous étreignait, on bavarda pour faire diversion et ne pas céder au désespoir.
Dans pareil cas, il est bon de provoquer une conversation et la chose la plus minime sert de
prétexte à des commentaires pour l'alimenter.
Heureusement, dès notre arrivée à Gueugnon, on quitta le canal pour prendre une route
départementale bordée de prairies, de bois et de terres cultivées. On arriva ainsi dans un
endroit assez désertique où un simple tableau nous indiqua que nous étions sur les terres du
village de Curdin. La route à prendre était large de 2m50, la montée rude et sinueuse.
Bientôt, au détour du chemin, on vit apparaître les toits des habitations et le clocher de
l'église et nous furent vite parvenus face de la mairie, endroit tout indiqué pour but de ce
genre de déplacement. Comment ce petit coin perdu dans la nature pouvait-il avoir
d'importance pour notre armée en déroute ? Notre étonnement était grand de penser que l'on
voulait nous faire cantonner dans ce bled. Les habitants ne cachaient pas davantage leur
stupéfaction, que dis-je, leur ahurissement !
Le capitaine et Tillié étaient arrivés bien avant nous, sans se préoccuper du convoi qui les
suivait de loin... Ils s'étaient casés, l'un chez le Maire, l'autre chez l'adjoint partageant le
repas de ces gens. Devant tant d'égoïsme, je ne pus m'empêcher de piquer une crise et je fis
le nécessaire auprès du seul aubergiste du village pour que chacun puisse trouver un coin
de repos. Bien que sa femme fut malade et alitée, cet aubergiste se montra très gentil ; il mit
toute sa famille en mouvement et, peu de temps après notre arrivée dans une salle mise à
notre disposition, nous savourions une délicieuse omelette au lard arrosée d'un bon vin suivi
de café et liqueur. Aux hommes, une distribution de repas froids avait été effectuée. Le
déjeuner achevé, on alla reconnaître notre logement. Nous avions une chambre située au 1°
étage de l'établissement public qui servait de mairie mais aussi d'école et de logement pour
l'instituteur. On fit apporter de la paille et à chacun d'organiser sa couchette. Puis, suivant les
ordres, on se mit en devoir de décharger la camionnette contenant les affaires de bureau
dans l'unique classe. Dans une chambre inoccupée, on installa les commissions des
ordinaires, bref on emménageait en vue d'y rester. Pour les hommes, on avait trouvé une
grange dans une ferme voisine de la Mairie. Pour la cuisine, la cour de l'école convenant
parfaitement, on y installa la popote. Le soir après le dîner, on flâna un peu, puis chacun
réintégra son logement afin de passer une bonne nuit réparatrice.
Lundi 17 juin
Réveillé, vers 7 heures, je sortis de mon sac à viande, je m'habillais et me rendais à
l'auberge où j'avalais un café arrosé puis je fis ma toilette et me rendis auprès des copains
qui, avec quelques camions et voitures avaient pu nous rejoindre. Je me rendais ensuite au
"bureau" afin de mettre mon travail à jour. Vers 10 heures, André Bartier et moi allions à