Page 15 Memoire_Daveloose
P. 15
treillis, tout le monde en tenue de drap, le casque jugulé, la tolérance de l'aisance consentie
depuis Moulins est finie. Nous traverserons la ville en colonne serrée et à petite allure, je ne
quitterai pas la tête pour aller reconnaître la route, avant que nous soyons sortis de la ville et
éloignés de celle-ci de quelques kilomètres . Voici le nouvel itinéraire : CLERMONT-
FERRAND, COUDES, ISSOIRE, LEMPDES, MASSIAC, SAINT-FLOUR.
« Quant à vous Daveloose, voici un ordre de mission pour vous rendre avec le convoi à
Saint-Flour. Ceci afin de vous tirer d'affaire si l'on vous arrête pendant mes absences. »
« D'accord, mon Capitaine ». A mon commandement, tout le monde dans les camions,
moteurs en marche. De nouveau, la colonne s'ébranle dans un ensemble parfait, en suivant
la voiture du chef de convoi. On traversa la ville , les piquets de service à la circulation
arrêtant d'autres colonnes afin de laisser passer la nôtre. Officiers, sous-officiers, hommes de
troupe nous regardaient défiler comme à la parade ! J'ai oublié de dire que le Capitaine, à
son second retour, avait ramené du ravitaillement, nous étions donc parés en vivres et en
essence. La traversée de Clermont-Ferrand s'effectua sans incident. Aussitôt hors de la ville
et à environ 2 kilomètres de celle-ci, des soldats creusaient des tranchées sur un côté de la
route, le long des champs de vigne, nous eûmes la sensation très nette que les malheureux
étaient sacrifiés. On s'achemina sans histoire jusque l'entrée d'Issoire.
A 5 kilomètres environ de cette ville, le terrain devenait de plus en plus accidenté et les
véhicules peinaient. Dans une côte un peu plus raide que les autres, le camion qui convoyait
l'essence et sur lequel se trouvait André Bartier, trop chargé, cala, au beau milieu de celle-ci.
Après quelques manœuvres particulièrement dangereuses, on rangea le camion sur la
droite, l'allégea de 200 litres d'essence que l'on chargea sur un autre camion et, pendant ce
temps, notre colonne arrêtée regardait défiler les autres... Enfin, tout rentra dans l'ordre et
tant bien que mal, on se remit en route. Nous ne devions pas rouler bien longtemps car à
peu de distance de l'endroit de l'incident, nous eûmes la désagréable surprise d'être pris
dans un embouteillage indescriptible. Nous étions sur plusieurs files, les voitures se
touchaient presque, nous ne savions comment en sortir. Afin de comprendre, je m'apprêtais
à descendre de voiture pour aller aux nouvelles, lorsqu'un militaire se présenta à la portière
et nous cria : « Faites demi-tour et repartez en sens inverse les allemands arrivent » et il
disparut entre les camions. On se regarda, se demandant si on ne rêvait pas. Le moment de
stupeur passé, on pensa avoir eu affaire à un pauvre gars commotionné ou à un type charge
de semer le désarroi parmi la troupe. J'allais donc me renseigner sur l'origine de cette
pagaille. Ce n'était qu'un convoi motorisé qui s'était engagé sur une fausse route et devait
reprendre la route sur laquelle nous nous trouvions, mais en sens inverse de notre propre
direction. Quand cette colonne eut manœuvré, on put repartir.
Nous étions à présent dans une région montagneuse où les chauffeurs des voitures légères,
des camionnettes et à fortiori des camions, devaient faire preuve d'une grande maîtrise de
soi et d'un grand sang-froid. Les chemins étaient très sinueux, les virages en épingle à
cheveux fréquents. A certains endroits, les camions devaient s'y reprendre à plusieurs fois,
exécuter des marches arrières dangereuses car une seconde d'inattention et c'était la
catastrophe : camion, hommes et matériels étaient précipités au fond du ravin. De quelle
profondeur pouvaient-ils être ces ravins ? Ils nous paraissaient si profonds ! Grâce donc au
sang-froid de nos chauffeurs, on n'eût à déplorer aucun accident. Etant avec Sam chef de
convoi depuis Clermont-Ferrand, on essayait de conserver intacte toute la colonne. Au
début, on avançait à la vitesse de 30 km/h , mais au fur et à mesure que les montées se
faisaient plus rudes notre vitesse diminuait, de plus il fallait de temps à autre s'arrêter pour
reformer le convoi. Au point culminant de cette excursion montagneuse, nous ne roulions
plus qu'à 15/20 km/h de moyenne. Il faisait froid et chacun de frissonner et de jeter le
manteau sur ses épaules, d'ailleurs le sol était à certains endroits recouvert de neige.