Page 7 Memoire_Daveloose
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Nous nous sommes empressés de démarrer et avons repris notre course vers l'aventure.
Toutefois, en chemin, un doute sur la sincérité du gars nous effleura ; après nous être
consultés, nous avons quand même décidé de gagner Juzennecourt ne pouvant admettre
que nos supérieurs pouvaient nous y envoyer pour y établir un parc de réparations et
d'entretien, alors que ce patelin était menacé.
Dans la nuit opaque roulant sans lumière, on partit dans la direction qui nous semblait la
bonne. En chemin, on croisa des territoriaux qui, silencieusement et par petits groupes,
montaient en ligne. Arrivés à une croisée de chemins, je descendis de voiture afin de me
repérer ; pour comble de malheur aucun panneau indicateur à l'horizon. Que faire ? Pensant
qu'à nouveau, nous nous étions trompés, nous fîmes demi-tour pour reprendre le même
chemin mais, en sens inverse, roulant à faible allure, essayant de voir une indication afin de
nous repérer. Depuis Chaumont, notre voiture donnait des signes de fatigue et la pompe
devait encore être encrassée. On roula péniblement au starter jusqu'au moment ou l'on
distingua une ombre figée sur le trottoir à hauteur de l'entrée d'un cimetière. C'était une
sentinelle, laquelle voyant une auto raulant à faible allure se dirigea vers nous en braquant
son fusil mitrailleur . J'interpellais aussitôt le soldat en faction en ces termes : "Ne tires pas
mon vieux, nous sommes des soldats français qui cherchons notre route". Il abaissa son
arme, s'avança et nous précisa que les allemands se trouvaient à 200 mètres derrière nous.
Il nous conseilla de filer à toute vitesse. Nous devons rendre grâce à la Providence qui nous
fit rencontré un soldat au grand sang-froid. Pris de peur il aurait pu nous abattre à bout
portant. Ayant la confirmation que l'ennemi était bien à Bologne et que nous avions fait tout
ce qui était matériellement possible de faire, nous avons suivi les conseils de ce garçon qui,
seul dans la nuit, avait certainement la consigne de rester coûte que coûte où on l'avait
posté. Nous repartîmes pour Chaumont où nous arrivâmes vers 23 heures 30, avec un
moteur boiteux. Cherchant la sortie de la ville en direction du sud, nous y sommes parvenus,
non sans mal, car la nuit était noire et la route encombrée de convois de toute sorte que l'on
suivait ou que l'on croisait. A un certain endroit qui nous sembla être un large boulevard,
nous nous sommes renseignés auprès d'un vieux ménage qui, têtus comme le sont
généralement les vieilles gens, s'obstinait à ne pas quitter leur maison. Le vieux monsieur
nous indiqua que tout le monde partait en direction de Dijon tandis que que l'on entendait le
crépitement des mitrailleuses tirant du bois qui se trouvait devant nous de l'autre côté de
cette artère.
Enfin on put sortir de la ville et retrouver la route nationale sur laquelle on roula, vitres
baissées, distinguant les horreurs d'une retraite précipitée : soldats isolés sans officiers,
militaires exténués se traînant en s'aidant de bâton, réfugiés en autos, en voitures
hippomobiles ou poussant une poussette chargée de tout ce qu'ils avaient pu sauver. Tout ce
monde fuyait sans détourner la tête.... On croisa un convoi de soldats qui avaient été
chargés de réquisitionner des chevaux, puis et toujours d'autres colonnes composées de
vieillards, de femmes et d'enfants reflétant les horreurs de la guerre. A environ 12 kilomètres
de Langres, nous entendîmes une galopade, le bruit semblait provenir d'un groupe important
de cavaliers. Bientôt nous distinguâmes devant nous des chevaux sans équipement, sans
cavalier, qui, dans leur course folle, occupaient la chaussée allant de droite à gauche et de
gauche à droite, freinant l'allure des convois. Certains traînaient leur chaîne laquelle, frottant
sur le macadam, rendait un bruit sinistre. Il nous fallut les suivre durant quelque temps sans
trouver la possibilité de les dépasser. Malgré la visibilité nulle, on se décida quand même à
tenter cette manœuvre. Ce ne fut pas tâche facile et Sam se révéla à cette occasion un
chauffeur émérite, faisant preuve d'une grande maîtrise. Je l'aidais et le guidais du mieux
que je le pouvais, une partie du corps hors de la portière. La température peu clémente nous
faisait frissonner et le vent froid qui nous fouettait me traversait et me glaçait. On arriva ainsi
à quelques kilomètres de l'entrée de la ville. L'ami Louradoux complètement exténué, ayant
du fournir de gros efforts, décida qu'il fallait s'arrêter et garer la voiture afin de pouvoir dormir
et récupérer quelque peu. L'auto fut amenée devant une ferme et pendant que les copains,