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RECIT DE LA DÉBÂCLE VECUE PAR LE Maréchal des Logis-Chef Jean DAVELOOSE
PROLOGUE
Le 20 Mai 1940, j'ai reçu de mes aimées leur lettre datée du 17 courant. Mon bonheur était
grand en apprenant que mes êtres chéris et les parents jouissaient d’une très bonne santé et
conservaient l'espoir que des permissions seraient délivrées afin que je puisse les rejoindre
huit jours plus tard. Quant à moi, je n'avais aucun espoir, car la Situation se compliquait de
jour en jour et les nouvelles étaient de plus en plus décevantes. Chaque jour apportait son lot
de mauvaises nouvelles (échos venant de la bataille des Flandres des 20 Mai au 13 juin
1940). J'ai vécu comme tous les copains des heures douloureuses, des journées très
longues, au cours desquelles mon moral fléchissait de plus en plus, pour être complètement
au point mort. Lorsque la nouvelle de l'avance allemande dans le Nord du Pays nous parvint
à Verdun, mon désespoir était grand à la pensée que ce petit coin habité par les miens
pouvait être bombardé. Les bruits les plus divers circulaient, les habitants de chez nous
avaient du évacuer, un des trains de réfugiés avait été bombardé et coupé, d'autres disaient
que la population était partie à pied et qu'une colonne de civils avait été prise dans des tirs
croisés. J'essayais dans ma pauvre tète en feu de raisonner, hélas ce n'était que pour
augmenter mon désarroi, m'enlevant le goût du travail, cherchant la solitude pour mieux
songer à ceux que j'aimais, me posant toute une série de questions auxquelles aucune
réponse n'était faite; mes nuits étaient agitées et remplies de rêves malheureux. Je vis arriver
des évacués belges et luxembourgeois non attendus et que les autorités ne savaient que
faire. Ils campaient dans la nature, femmes , enfants, vieillards, aux visages tristes et
ravagés de souffrance. De jeunes mamans, tenant leur chérubin dans les bras, essayaient
de sécher les pleurs de leur petit en le berçant avec tendresse. A ce triste et émouvant
spectacle qui me torturait, je me posais la question : mes aimées, mes parents, où sont-ils ?
subissent-ils le même sort que ces pauvres gens, qui sans foyer, exilés, cachaient leur gros
chagrin pour se montrer plus forts, plus héroïques qu'ils n'étaient.
Alors devant tant de misère, je me prenais à souhaiter que ceux que j'aimais n'aient pas du
évacuer. Tout à mes tristes pensées, je retournais à la Citadelle, marchant d'un pas lent,
essayant de me secouer, de sortir de ce grand cauchemar, mais en vain ! J'étais impuissant
à cette réaction. Arrivé à la caserne, je gagnais ma chambre où dans l'isolement je donnais
libre cours à mon cœur meurtri. Ainsi s'écoulaient les jours et les jours, m'isolant de plus en
plus des miens, m'ôtant même toute envie de rendre visite à la famille Rogê, tant leur vie de
famille me faisait mal. Non pas que j'étais jaloux, loin de moi cette pensée, mais dans mon
malheur, je préférais la solitude. Hélas à son tour, Verdun dut évacuer.
Cette nouvelle me parvint le dimanche soir 9 juin alors que tout le monde l'ignorait. Le
lendemain, levé très tôt, je fis un brin de toilette, puis je me rendis chez ma belle-sœur pour
l'aviser de ce que je savais l'adjurant de se tenir prête, la convaincant de partir. Je retournais
à la Citadelle, la nouvelle officielle d'évacuation ne fut signifiée aux Verdunois que le mardi
suivant dans la matinée. Croyant que la famille Rogé était partie, aussitôt Je retournais voir
ce qu'il en était; mais ils préféraient retarder leur départ au lendemain 12 juin. Dès le matin
de leur départ, je me présentais à eux avec une boîte de biscuits remplie de café et une
mallette pleine de sucre cristallisé. Ecourtant les adieux, je partis le cœur plus lourd encore
de voir ces pauvres enfants. Je songeais à ma petite fille chérie et, sans honte, essuyais
furtivement les larmes qui perlaient au bord de mes paupières brûlantes et fatiguées.
C'est dans cet état d'esprit qu'arriva pour la 5° Cie de Parc et pour le PAREM de Verdun,
l'ordre de repli dont l'odyssée sera relatée aussi fidèlement que possible par celui qui, dans
les moments les plus durs et périlleux, n'eût toujours qu'une môme et seule prière montant
de son cœur aimant et plein de tendresse : "Mon Dieu étendez votre protection sur tous les
êtres qui me sont chers, veillez sur eux et sauvegardez-les".