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Vendredi 14 juin 1940
L'ordre de repli, auquel les copains et moi nous nous attendions, est arrivé dès le matin. Vers
3 heures, plusieurs grosses pièces d'artillerie tirent sans discontinuer. Grâce à Dieu, devant
le devoir, je me suis retrouvé moi-même. On déménagea, on chargea les camions ; dès 10
heures, nous étions prêts, attendant de nos supérieurs l'ordre du départ. On le connut à 12
heures avec les instructions suivantes : départ de la Citadelle à 14 heurs 15, point de
ralliement avec d'autres colonnes de chez nous, quai de Londres. Le convoi était entièrement
formé à 15 heures 10, les voitures s'ébranlèrent et nous quittâmes Verdun pour rejoindre
Juzencourt près de Bologne, en suivant l'itinéraire suivant qui fut communiqué à tous les
gradés par le Capitaine, chef de convoi, avant le grand départ: VERDUN, DIEUE-s/MEUSE,
SAINT-MIHIEL, COMMERCY, VOID, VAUCOULEURS, NEUFCHATEAU, SAINT-BLIN,
ANDELOT, BOLOGNE, JUZENNECOURT.
A Houdainville, à environ 8 kilomètres de Verdun, première attaque aérienne par les
allemands. Des bombes furent lâchées et les mitrailleuses entrèrent en action. En
accélérant, nous avons cherché à traverser et quitter, au plus vite, la zone dangereuse. En
vain, il fallut stopper, courir dans les champs voisins et s'allonger dans les prairies et
ruisseaux. Enfin les aviateurs, ayant accompli leur mission, s'éloignèrent. On put remettre les
voitures en marche et la colonne reprit son chemin.
A Dieue-s/Meuse, peu de temps avant que nous arrivions, l'aviation ennemie avait opéré.
Nous traversâmes la seule et unique rue du village où de chaque côté s'élevaient des
brasiers que les habitants tentaient de stopper et d'éteindre. Sur la chaussée, des chevaux,
des bœufs, étaient étendus frappés par la mitraille. A la sortie de DIEUE, une bombe était
tombée près du pont au-dessus de la rivière ; une rectification visuelle de quelques mètres et
le pont aurait sauté. Grâce à Dieu, il n'en était rien et nous pûmes continuer notre route.
Jusque là, aucun flottement dans la colonne qui restait au complet. Commercy : nous
traversons la ville au ralenti car on constate déjà des difficultés de circulation. Les habitants
nous saluent au passage, ils nous adressent des sourires et des gestes amicaux ; nous
lançons, par les glaces baissées des portières, des paquets de tabac et des bonbons. Cet
accueil chaleureux réchauffe un peu nos cœurs tristes et glacés. Détail émouvant : une jeune
maman tenant dans ses bras un bébé ; cette jeune femme au visage triste et grave nous
regardant passer, cria, au moment où notre voiture arriva à sa hauteur, de tout le souffle de
ses poumons:" Vive la France". Ce cri d'amour en ces jours troublés nous bouleversa. Le
parcours entre Commercy et Neufchateau en passant par Void et Vaucouleurs se déroula
dans le calme.
Neufchteau : à l'entrée de cette ville, dans une route encastrée d'un côté par des rochers, de
l'autre par un ravin, au fond duquel se trouvaient les lignes de chemin de fer, ce fut
l'embouteillage. Des convois de réfugiés s'étaient mêlés à notre colonne, avec d'autres
transports militaires de toutes les armes. Cela provoqua un fort ralentissement, puis un
énorme bouchon du fait que d'autres convois militaires nous croisaient allant en sens
inverse. Ce fut au moment où les voitures étaient immobilisées qu'eut lieu la 2° attaque
aérienne. Nous avons pu compter 37 avions au-dessus de nos têtes. Les bombes et les
balles de mitrailleuses commencèrent à pleuvoir, nous condamnant à rechercher
d'éphémères abris. Nous entendions les cris des femmes et les sanglots des gosses, le
coeur empreint d'une grande tristesse. Nous nous allongeâmes dans le ruisseau au bas de la
falaise entendant le miaulement des balles, le bruit que faisaient ces dernières en ricochant
sur un corps dur, le sifflement et la détonation des bombes... L'une d'elles tomba à 100
mètres environ sur la route, atteignant un autocar transportant des militaires, une
camionnette remplie de munitions et des autos de civils. Les bombardiers s'étant éloignés,
nous sommes retournés à notre voiture afin de vérifier la pompe à essence qui ne donnait
plus satisfaction. Au cours de cette vérification, une seconde alerte eût lieu. Après celle-ci,