Page 23 Memoire_Daveloose
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douloureux calvaire. Ce qui me fait mal, c'est que certains de nos gars ont leurs parents qui
habitent ou sont réfugiés en zone libre et reçoivent régulièrement du courrier; cela aigrit le
caractère des
autres.
Mercredi 3 juillet
Je songeais, comme chaque matin, à cette nouvelle journée qui commençait, journée creuse
comme bien d'autres, journée ressemblant aux précédentes apportant une lassitude morale
et physique, aux isolés de leur famille. Aussi, c'est comme un automate sans volonté aucune
que je me levais, faisais ma toilette, passais dans la cuisine présenter mes hommages à ma
logeuse, puis allais boire un café avant de me rendre à la Mairie prendre place à mon
bureau. Le temps était beau mais pas étouffant contrairement aux premiers jours de la
semaine. J'étais au travail lorsque, vers 10h30, on m'appela de la rue et me fixa rendez-vous
à I3h. Nous devions nous rendre à Moissac et il m'annonça à ma grande surprise que nous
passerions voir ma belle-sœur à Montauban. Je lui avais souvent fait cette demande et il me
répondait : patientez, nous trouverons bien un moyen. Ce moyen était enfin trouvé, ce jour
que j'attendais enfin arrivait. J'étais content, j'étais heureux en songeant que je pourrai voir
non pas un ami ou une relation quelconque mais un membre de ma famille auquel je me
promettais de dire bien des choses. J'en étais là de mes réflexions lorsqu'on vint m'apporter
une carte de Marie-Antoinette m'annonçant que mon beau-frère se trouvait à Luzech et sa
famille à Montpellier. Joie plus grande, le regroupement s'opère. A I3h exactement, le
Commandant, Sam, le chauffeur et moi quittions le village. Aussitôt la voiture s'élança sur de
belles routes, à travers de belles et fertiles campagnes, traversant de belles contrées
montagneuses à une vitesse toujours plus grande.
A Montauban, après quelques recherches, la voiture me déposait 13, rue du Lycée. Alors
que les autres m'attendaient, je sonnais. Je ne sais pas pourquoi mais mon cœur se mit à
cogner. Une petite sœur vint m'ouvrir et dès que j'ai eu prononcé le nom de sœur Jeanne,
elle me demanda ou plutôt posa la question : vous êtes son frère ? Je me fis connaître.
Introduit, j'attendis au parloir. Est-ce le lieu qui me rappelait les jours en famille rue Cardinet,
j'avais le cœur gros et une très grande envie de pleurer. Quand arriva celle que j'attendais,
vit-elle mon désarroi ? Je le suppose, car elle essaya de verser du baume dans mon cœur
en m'annonçant que, certainement, les miens n'avaient pas évacué et que le Nord ne
manquait de rien. Elle me parla de tout et de tous et me donna les adresses de Marthe et de
Pierre. Cette entrevue que je ne pouvais prolonger dura environ 20 minutes. Je pris congé de
sœur Jeanne pour rejoindre ceux qui m'attendaient. On partit pour Moissac par la montagne
et l'on revint à Roquecourbe en faisant un crochet par Toulouse. Belle ville ressemblant dans
son centre à Paris. On se promena dans ses grandes artères jusqu'à I9h. Au cours de cette
promenade en ville, on rencontra avec plaisir le Capitaine Le Poisson lequel paraissait
également très heureux de nous voir et nous paya un rafraîchissement. On quitta Toulouse
pour le cantonnement, traversant de jolies contrées et apercevant au loin la chaîne des
Pyrénées. Nous retrouvions Roquecourbe pour nous restaurer à 20h45. Le dîner achevé,
vue l'heure tardive, je quittais les amis et j'allais me coucher me promettant d'écrire une
longue lettre à mes chéries, le lendemain matin, pour leur apprendre les bonnes nouvelles.
Mes lettres sont-elles parvenues à destination ? Mystère. Je doute beaucoup, hélas, que
mes êtres adorés aient pu, par elles, être rassurées.
Du Jeudi 4 juillet au 28 juillet
Période au cours de laquelle s'écoulent des jours mornes et tristes. Toujours pas de
nouvelle, toujours rien de ceux que j'aime. Ce manque de correspondance finira par m'ôter le
peu de courage dont je suis encore nanti et ne peut qu'augmenter mes craintes et mes
affreuses appréhensions. La démobilisation pour ceux des zones franches a commencée le