Page 25 Memoire_Daveloose
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Samedi 3 août

Jour sombre pour moi qui est en exil. Mon pauvre cœur, foyer ardent d'un grand amour
paternel, souffre de ne pouvoir être au foyer afin de fêter les 4 ans de ma petite Claudine
adorée. Pourquoi faut-il que la démobilisation des armées puisse traîner de pareille façon !
Pourquoi d'une classe des plus anciennes suis-je toujours à Roquecourbe ? En ce jour
anniversaire, mon cœur, dans la séparation, est plus triste encore. L'amertume me ronge, je
suis malheureux moralement. Pour parfaire cet état d'esprit plus que médiocre, les lettres
attendues n'arrivent pas ce qui augmente ma tristesse déjà profonde. Voulant échapper au
présent, je me laisse emporter dans le passé et je revois les préparatifs d'une première fête
anniversaire pour les 3 ans de ma petite fille adorée. Je me remémore cette petite fête
familiale, la joie de ma chère petite et sa fierté de me dire "Mon petit papa, j'ai 3 ans" et son
immense plaisir de voir brûler les trois bougies. Je crains qu'en pareille circonstance, pour ce
jour anniversaire, rien ne fut fait. Pourtant je voudrais, malgré mon absence qu'un simulacre
de fête ait lieu pour la joie de mon grand trésor.

Du dimanche 4 août au mardi 6 août


Situation inchangée. Je conserve dans mon cœur toujours la même et profonde tristesse.

Mercredi 7 août


Dissolution de la 5° Cie de Parc, ce qui me donna beaucoup de travail et m'en donnera
encore le 8 août, nous faisons partie dorénavant d'un groupe N° 3 de la batterie de
démoralisation. Le bruit court que notre libération ne saurait tarder. Je suis sceptique et ne
partage pas les espoirs des autres. Au contraire, je me sens plus triste que de coutume, j'ai
peur des jours sans travail qui vont suivre et l'oisiveté complète ne fera qu'augmenter mon
cafard en favorisant mes rêveries.


Vendredi 9 août au lundi 12 août

Nous vivons dans une oisiveté complète qui fait bien mal. Nous sommes tantôt gonflés
d'espérance puis aussitôt terrassés par de mauvaises nouvelles. Ainsi aujourd'hui, il
paraîtrait qu'étant de zone interdite, le retour au foyer ne peut être envisagé et qu'en
conséquence on nous mettrait dans des camps de travailleurs. Cette nouvelle nous plongea
dans une grande stupeur et nous brisa le cœur.


Mardi 13 août

Après une nuit presque blanche, au cours de laquelle ma pauvre cervelle travailla
constamment, je me lève la tête lourde. Je sens très bien que si je me laisse glisser sur la
pente de l'ennui, je finirai par me rendre malade. Ceci ne doit pas survenir, je dois conserver
toute ma santé pour ce jour de grand bonheur du retour au foyer et pouvoir reprendre la vie
de famille au milieu de mes êtres chéris. Je fais un gros effort, je secoue cette torpeur
toujours plus présente qui m'envoûte et je prends la décision d'aller porter à Castres ma
montre qui ne marche plus depuis Neuf château. Je demande au fils de ma logeuse de
m'accompagner, jeune homme de 17 ans avec qui j'ai lié plus ample connaissance, depuis
15 jours que je prends mes repas avec sa famille. Cette décision, je la dois à l'amabilité de
ses parents, lorsqu'ils ont su que j'avais l'estomac fragile. André Bartier se joignit à nous et
l'on partit pour Castres à vélo. Cette promenade fut salutaire tant au physique qu'au moral.
On rentra à midi, bien fatigués pour se mettre à table. L'après-midi se passa calmement,
j'écrivis à Marthe et à Marie-Antoinette.
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