Page 52 Memoires de guerre 1914 1918
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Pierre Charmoy





Et tous les jours des pièces d’artillerie arrivaient et s’installaient. C’est incroyable
ce qu’il pouvait y en avoir, on peut dire que les batteries se touchaient. Malgré cet afflux
de matériel et d’hommes, le front restait plutôt calme, il y avait bien quelques obus de
temps en temps mais pas de bombardements systématiques. Nous avions posé nos lignes
téléphoniques et les entretenions sans trop de peine et sans casse. Quelques jours avant
le jour J, le soir à la tombée de la nuit, toute l’artillerie tirait en même temps, c’était
un spectacle fantastique que de voir toutes les collines, les bois les ravins s’illuminer de
ces centaines et centaines de flammes sortant des canons de tous calibres. à quoi cela
pouvait-il bien servir ? Cela durait cinq minutes et puis le calme revenait.
Une journée se terminait, il pouvait être cinq heures du soir, j’étais en train de
manger ma soupe, la gamelle d’une main, la cuillère de l’autre, debout dans l’embrasure
de la porte de notre abri. Tout à coup je sentis et nous sentîmes tous le sol vaciller sous
nos pieds, quelques secondes après des pierres, des mottes de terre dégringolaient du ciel,
en même temps que nous entendions une et une seule explosion énorme et le silence
retomba. Qu’était-il arrivé ? Une mine, un dépôt qui saute ? Nous le sûmes peu après.
C’était un énorme dépôt de munitions (plusieurs jours de bombardement pour toute
l’artillerie lourde du secteur) qui avait sauté. Il se trouvait entre deux routes qui à cette
heure de la journée étaient couvertes par des files de convois (une montante, une descen-
dante). Tout ce qui se trouvait non seulement sur les routes mais sur les collines voisines
fut anéanti, tant l’onde de choc fut terrible. Tout ce qui se trouvait sur les routes fut
enterré par les retombées de la terre soulevée par l’explosion, plusieurs de nos fourgons y
restèrent. Comment ce dépôt avait-il pu sauter ainsi ? Acte de guerre, sabotage, je n’en ai
jamais rien su et par la suite jamais rien lu. D’habitude, quand un dépôt de munitions
saute, les caisses ou les tas d’obus ou de grenades sautent les uns après les autres, cela peut
durer longtemps. Là, il y eut une seule explosion, formidable. Sous le prétexte de réparer
une ligne téléphonique, nous pûmes deux jours après jeter un coup d’œil sur ce spectacle
de désolation et prendre quelques photos. Les collines qui abritaient des vingtaines de
pièces d’artillerie étaient maintenant silencieuses .
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