Page 32 Memoires de guerre 1914 1918
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Pierre Charmoy





Jusqu’au 25 septembre notre vie avait été assez pépère, nous nous connaissions
mieux et une très grande et bonne camaraderie s’était installée entre nous, les plus
âgés (près de 40 ans) devinrent ordonnance du commandant, vaguemestre, cuistot
et nous les jeunes nous nous occupions du téléphone. à partir du 25 septembre nous
fûmes brusquement plongés dans la guerre avec toutes ses horreurs. Nous avons eu des
journées dures, mais ce n’était rien à côté de ce qu’enduraient les fantassins. Vous trou-
verez dans un numéro de la revue historique de l’armée (n° 1-1962) un article intitulé
« l’hallucinante attaque de la 28 brigade-Champagne septembre 1915 » et un fascicule
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de l’association du souvenir aux morts des armées de champagne. Lisez ces articles. La
28 brigade était devant nous, elle faisait partie de la 14 division du 7 corps (Belfort),
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35 et 42 d’infanterie, 44 et 60 d’infanterie, 47 d’artillerie. Dès le début de l’attaque
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les pertes du 35 et du 42 furent énormes et je me souviens que sortant de la tranchée de
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départ, je vis ces dizaines de corps (je n’ose pas parler dire centaines) allongés par terre,
alignés sur un coin de bois où se trouvait une mitrailleuse allemande et si nombreux
qu’ils se touchaient .
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Je me demandais « l’Alsace-Lorraine justifie t’elle un tel massacre », je me répondis
« oui », puisqu’on me l’avait toujours dit, mais quand même je trouvais que c’était payer
bien cher. Et je n’avais encore rien vu. J’ai résumé mes souvenirs dans une lettre que je
pensais envoyer à Mr de Lombarès, l’auteur de l’article de la Revue de l’Armée, et puis
quand j’ai relu mon texte, je me suis rendu compte qu’il ne pourrait guère l’intéresser et
je ne l’ai pas envoyé. Ces journées m’ont marqué pour toute ma vie.





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