Page 63 Memoires de guerre 1914 1918
P. 63


mémoires de guerre (1914-1918)





en même temps que les enregistrements ne pouvaient plus rien donner. C’est ce qui est
arrivé en mars (1918) où les allemands ont voulu faire croire qu’ils allaient attaquer
sur le front de Verdun : gros bombardements, coups de mains sur les premières lignes et
surtout grosse activité de l’aviation. Nos avions d’observation se faisaient descendre dès
qu’ils prenaient l’air, c’était un spectacle navrant. Cela dura presque un mois et puis tout
redevint tranquille. Verdun avait bien changé depuis 1916, là où on ne passait qu’en
courant dans un sentier serpentant à travers les trous d’obus, il y avait maintenant des
routes et ma camionnette pouvait aller jusqu’aux lignes d’infanterie, souvent il fallait
calculer pour passer entre deux rafales, mais j’ai toujours ramené la voiture intacte.
Et puis le printemps arriva et tous ces ravins où on ne voyait même plus un brin
d’herbe étaient couverts de buissons verdoyants et de marguerites. Je n’en revenais pas.
à part ce mois de mars qui fut dur, il faut reconnaître que c’était pour nous la bonne
vie ; nous étions près du canal de la Meuse, on allait cueillir des pissenlits, de temps
en temps on attrapait une anguille ou un brochet, il fallait peu de choses pour être
heureux. Un beau jour le pont arrière de ma Vinot rendit l’âme, j’étais navré, je m’étais
attaché à cette brave voiture très robuste, on me la remplaça par une petite Renault bien
trop faible pour le métier qu’elle avait à faire, j’étais dégouté, on demandait des candi-
dats pour suivre les cours d’aspirant à Fontainebleau. Je me fis inscrire, fus accepté, et
le 19 août je mettais le cap sur Fontainebleau. C’est à la SRS que j’ai connu André
Desprairies, le père de Jean-Pierre, il avait été très gravement blessé en 1915.
à Fontainebleau il n’y avait pas les dangers du front, mais il y eut l’épidémie de
grippe espagnole, tous les jours il y avait des morts à l’école, dans notre chambrée de vingt
hommes, deux garçons de vingt ans moururent. C’est à Fontainebleau que j’ai retrouvé
Renaud, un camarade de 1915, le pauvre est maintenant aveugle. Le temps passait,
nous avions terminé les examens et allions quitter l’école, le 11 novembre l’Armistice
était signé, la guerre était finie.
Je n’en revenais pas, je ne croyais pas qu’elle puisse se terminer, moi n’étant pas au
front. C’était tout de même comme cela.
La guerre finie, on ne savait pas trop quoi faire de nous. Avec pas mal de cama-
rades je fus envoyé à Giens où il avait un centre d’artillerie lourde. En février, j’eus la
chance d’être envoyé dans un centre d’études à Strasbourg. Ces centres d’études étaient
destinés à regrouper les candidats aux Grandes Écoles pour leur permettre de préparer à
nouveau les concours. Il y eut trois centres, à Strasbourg, Metz et Nancy. J’avais présenté
le concours en 14, c’est pour cela que je partis dans les premiers. J’y travaillai bien,
Strasbourg est une belle ville mais seuls les vieux alsaciens parlaient français, on ne s’y
sentait pas à l’aise. Je fus reçu au concours de Centrale et fus démobilisé en octobre.
J’avais été militaire quatre ans et huit mois.



Terminé le premier juin 1977.








63
   58   59   60   61   62   63   64   65   66   67   68