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Hem,
1000 ans d'Histoire
Par
son seul aspect généalogique, la recherche des censes
et des censiers, c'est-à-dire des fermes et des fermiers de
notre région, constitue un sujet passionnant et très étendu.
Il n'est pas possible de le développer en peu de temps, c'est
pourquoi cet exposé s'efforcera d'être avant tout une
présentation limitée à des constatations générales
tirées de recherches dispersées.
La cense, c'est le cadre de la vie du censier, lieu privilégié de
son travail, source de sa richesse, berceau de l'épanouissement,
du rayonnement et de la force de sa famille.
Quelle est l'origine du mot CENSE et sa signification ? :
Il faut remonter au Moyen-Age, à la naissance et à la mise
en place des institutions féodales pour constater que le CENS,
d'origine romaine recouvrant une signification plus ancienne que l'on
retrouve par exemple dans "recensement", était une redevance
fixe, le plus souvent en argent, que le paysan exploitant d'une terre
qualifiée de censive payait à son seigneur propriétaire.
Les terres "à labeur", c'est-à-dire les champs,
ainsi que les bâtiments nécessaires à leur mise en
valeur et la résidence du censier étaient selon la formule
d'attribution en usage "baillés à titre de cense ferme
et louage..."; ferme, au sens de sûr, solide, définitif,
devint par la suite un nom qui se substitua au cours du XVIIIème
siècle à celui de cense.
Dans le paysage rural, les censes tenaient une grande place. Très
souvent, elles étaient édifiées, du moins les plus
importantes à l'écart des agglomérations et des
chemins d'intense circulation, aux confins des territoires des paroisses,
là où il y avait, à l'origine du peuplement, davantage
de possibilité de mise en culture sans être entravé par
les habitations.
La
plupart des grandes censes portaient un nom. Citons par exemple celles
de la Bourgogne, des Carrés, de Cocquignies, du Grand Fresnoy,
des Passés, des Poutrains, de la Vigne ... sur la paroisse de
Tourcoing. Des noms ont subsisté jusqu’à nos jours,
certains ont totalement disparu, d’autres ont été remplacés.
Ainsi une cense peut être connue sous plusieurs noms donnés à des époques
différentes, notamment dans la zone limite entre le français
et le flamand, l’un apparaissant comme la traduction de l’autre.
Les noms de censes rappellent leur importance, leur situation, une partie
remarquable de leurs bâtiments ou de ce qui en dépend, leur
environnement par l’élément naturel dominant relatif
au relief, à l’eau, à la végétation,
une activité annexe comme la tuilerie, la brasserie, le moulin,
la présence d’un animal caractéristique dans les
parages ... Très souvent ces noms rappellent ceux des premiers
propriétaires. Les censes plus petites, plus nombreuses aussi,
n’avaient pas de nom écrit.
Les anciennes censes étaient souvent chefs-lieux de seigneuries;
quelques-unes évoquent l'époque seigneuriale par leurs
noms : le Châtel, la Court, la Salle, la Tour, la Motte, le Ploui
... La cense occupe alors la partie basse du périmètre
de la maison forte du propriétaire, laquelle est devenue par la
suite maison de plaisance, soit intégrée dans les bâtiments
agricoles, soit bâtis sur un terre plein contigu distinct de celui
de la ferme qui constitue avec les terres du domaine "le gros du
fief", par opposition aux terres cottières, non nobles, qui
y sont.rattachées et peuvent le compléter.
Vraisemblablement
certaines censes ont dénommé à leur tour les premières
familles de censiers qui les ont occupées. Elles ont assurément
servi à distinguer certaines branches d'une même famille.
Ceux
qui possèdent les censes sont de natures diverses. Ce sont les
communautés religieuses : abbayes, églises collégiales,
hôpitaux, commanderies, qui sont les plus grands propriétaires.
On trouve ensuite des seigneurs laïques issus d'anciennes familles
nobles, ou des anoblis, des magistrats, des fonctionnaires des administrations
citadines, seigneuriales puis royales, des marchands des villes, des
charités de pauvres, enfin des censiers qui, enrichis, ont acheté des
terres et des petites censes qu'ils louent à d'autres censiers
appelés "petits occupeurs", et qu'ils transmettent à leurs
héritiers qui les conservent parfois et qui baillent leurs parts à l'un
d'entre eux.
Quelles
sont généralement les modalités d'attributions
des censes ? :
La cense se louait et se transmettait de deux façons possibles
: par réservation ou par adjudication. Le bail pouvait préciser
par une clause au contrat la réservation à l'un des enfants
du censier, cité par son prénom, "à l'exclusion
de tout autre" ; parfois, il était stipulé que si
cet enfant, garçon ou fille, venait à mourir avant ses
père et mère sans avoir été marié et
avoir eu descendance légitime, la cense reviendrait à un
autre des enfants dont le prénom était lui aussi écrit.
Ou bien, c'était à l'un des enfants sans autre spécification.
En
règle générale, si le père, ou la mère
qui a également le droit de cense, est encore vivant mais dans
un âge avancé, c'est le dernier enfant qui, à son
mariage, devient à son tour censier ou censière. Le transfert
du droit de bail avec son narfait, c'est-à-dire l'achèvement
de sa durée normale précisée par l'acte de location
en référence, est fait en faveur du futur couple, et
indiqué, la plupart du temps dans le contrat de mariage, en
accord avec le propriétaire, en attendant la rédaction
d'un nouveau bail. Les enfants précédents ont été établis
comme il se devait, en faisant en sorte qu'ils trouvent à leur
mariage célébré une autre.cense. On a pu voir
des censiers, à un moment donné, occuper plusieurs censes
pour les réserver à certains de leurs enfants, dans l'attente
de placer les autres en les mariant à des fils, des filles ou
des veuves de censiers, assurés d'exploiter des censes en renom.
Si le père et la mère décèdent tous les deux
en laissant des enfants non mariés mais suffisamment âgés,
c'est l'ainé, garçon ou fille, qui reprend la cense. Celle-ci
continue ainsi à se transmettre verticalement, de génération
en génération.
Si l'un des deux conjoints meurt et si l'autre se remarie, la cense est
exploitée par le nouveau couple, et on a affaire à une
transmission horizontale, et il n'est pas rare de constater un écart
d'âges important entre le mari et la femme, aussi bien d'un côté comme
de l'autre; la différence totale entre le début et la fin
d'une chaine peut correspondre, suivant sa longueur, à un décalage
d'une ou de deux générations.
Si les enfants sont tous mineurs au décès de leurs père
et mère, c'est un tuteur, membre de là famille ou ami,
ou celui qui était caution à l'application du bail, qui
assure l'intérim. Quelquefois, on remarque un passage de l'oncle
au neveu, ou à un cousin; ainsi la cense ne sortait pas de la
famille.
La cense est vacante lorsqu'à la mort ou au départ du censier
en exercice, sa reprise n'est pas prévue ou si elle est refusée
par ceux qui étaient susceptibles de s'y installer. Ce phénomène
fut fréquent durant les périodes d'épidémies
et de guerres notamment vers 1650 : l'insécurité quasi
permanente causée par la présence des troupes armées
qui pillaient et ne laissaient que des ruines après leurs passages
répétés, et l'incertitude de se retrouver le lendemain
encore en vie et dans une situation matérielle sauvegardée
amenaient certains laboureurs à "se déporter de leur
droit de bail" et à "remettre" la cense "entre
les mains" du propriétaire parce qu'ils s'étaient
appauvris et qu'ils n'arrivaient plus à payer les "rendages",
c'est-à-dire les loyers. ou bien, sans prévenir, ils "abandonnaient" leur
cense ; ils étaient déclarés "fugitifs",
et les terres restaient .momentanément en friches.
Lorsque
le censier est insolvable et ne peut payer ses rendages, sa caution doit
le suppléer, sinon l'endetté "vend" au propriétaire
des rentes héritières hypothéquées sur ses
biens fonciers. Si le mauvais payeur ne veut pas quitter la cense, il
en est expulsé, une action en justice étant entamée,
ses biens sont saisis et vendus aux enchères, et le créancier
se rembourse sur le produit de la vente.
Pour trouver un nouveau censier, le propriétaire procède à l'adjudication
de son domaine en location, publiée sous forme d'affiches placardées
dans toutes les paroisses des environs. Après la mise aux enchères
du montant des loyers, le bail revient au plus offrant, dernier enchérisseur à la
fin du marché. Si le preneur pense ne pouvoir tenir ses engagements,
le contrat est annulé avant son entrée dans l'exploitation,
et on recommence l'adjudication jusqu'à ce que le propriétaire
ait trouvé un censier. Si les bâtiments sont détruits,
les terres sont parfois louées à plusieurs laboureurs :
ce morcellement était imposé par l'état dans lequel
se retrouvait économiquement le monde rural après les désastres.
La construction par la suite d'édifices sur les nouveaux lots
devait être une opération lucrative pour le propriétaire
qui augmentait ainsi les revenus de son domaine tout en faisant payer
des loyers moins élevés à chacun de ses censiers.
C'est aussi l'occasion pour de nouvelles familles issues d'un milieu
paysan plus modeste, de tenter leur chance en entrant de cette manière
dans le cercle relativement fermé des gros censiers qui contrôlaient
la mise en valeur d'une grande partie des terres agricoles, sans passer
par les alliances matrimonia1es qui en assuraient l'existence et la continuité.
L'accroissement de leur population et la difficulté qui en résultait
de trouver des censes vacantes dans un secteur proche contraignirent
certains censiers à émigrer et à s'implanter dans
d'autres régions, en Flandre au XVIIème siècle,
autour de Courtrai, d'Ypres ou de Furnes, et dans le Hainaut au XVIIIème
siècle, près d'Ath et de Mons, par exemple, alors que d'autres,
appauvris, quittèrent le métier de laboureur pour s'établir
au village dans le commerce ou l'artisanat, avant de devenir au fil des
générations, leur situation matérielle continuant à se
dégrader, des journaliers.
Le laboureur censier est donc celui qui tient une cense. Seuls les bâtiments
et les terres appartiennent au propriétaire. Les meubles, le matériel
nécessaire à 1'exploitation, les bestiaux, les semences,
les récoltes ... constituent la richesse du fermier.
Le gros censier est au sommet de la pyramide paysanne.
Il ne travaille pas vraiment lui-même la terre, sauf exception.
Il est le maitre, il ordonne, il surveille, il dirige
des employés, parents,
domestiques, saisonniers
; c'est chez lui que d'autres laboureurs trouvent un complément
de travail leur permettant de vivre. Il passe beaucoup de son temps à la
ville voisine pour le règlement de ses affaires : il vend et achète
sur les marchés, il este en justice... Il place ses bénéfices
dans des rentes, acquiert des terres et des petites censes qu'il fait
exploiter par
d'autres; parfois un fief entré en sa possession lui donne un
titre seigneurial dont il aime user dans sa vie publique. Comme il est
instruit, il sait souvent lire, écrire et compter, il est le receveur
de domaines plus étendus et perçoit les redevances, en
particulier la dime, et les loyers, qu'on lui a affermés. Il exerce
des charges administratives et remplit des fonctions policières
au sein de la communauté de son village, comme bailli, lieutenant, échevin,
homme de fief, ou juge rentier selon les lieux et les structures. Dans
l'une de ces qualités, il disposait, notamment au XVième
siècle, d'un sceau personnel pour la signature des actes. Il peut être à son
tour, sans que cela soit aussi un privilège relatif à sa
condition sociale, collecteur des impôts, ministre de la charité des
pauvres, marguillier de l'église de sa paroisse dans laquelle
il se fait inhumer avec les siens, après avoir eu soin de fonder
par des donations des messes anniversaires ou obits pour perpétuer
sa mémoire, tout en assurant le repos de son âme. Il est
aussi bourgeois forain de la ville la plus proche où certains
de ses enfants s'installent, comme marchands brasseurs ou boulangers
; quelques-uns.y obtiennent parfois des offices de magistrats qui peuvent.les
anoblir. D'autres enfants entrent en religion. Cette évolution
sociale n'est propre qu'à une minorité. Les intérêts
communs sont protégés et renforcés par une habile
politique matrimoniale qui resserre les liens familiaux entre les censiers
dans un cadre géographique qui ne reste pas rigide, mais dont
la forte endogamie engendre un cousinage très marqué, peu
facile à démêler et à suivre.
Le censier est donc un gestionnaire qui songe avant tout à maintenir
ou à améliorer sa situation matérielle et à préparer
celle de ses enfants. De véritables dynasties ont joué ainsi
un rôle dominant à l'intérieur d'une cense, d'une
paroisse ou d'une région.
Si des études approfondies ont été faites sur les
fiefs de notre région, complétées par des généalogies
des familles nobles ou notables qui les ont possédés, rien
de comparable et de systématique n'a été entrepris;
semble-t'il, pour les fermes et les familles de laboureurs qui les ont
occupées. Aussi, après avoir effectué des recherches
sur cet aspect assez méconnu du monde rural, en particulier avant
1789, et devant la quantité de renseignements recueillis progressivement
et la richesse de leur contenu, notamment dans le domaine généalogique,
quelques membres du G.G.R.N. dont je suis ici le porte-parole, ont décidé de
procéder à un regroupement méthodique de ce qu'ils
ont trouvé en constituant une sorte de fichier encyclopédique
ou statistique des censiers par cense, accompagné de tableaux
généalogiques de façon à mieux comprendre
les relations qui existaient entre eux au niveau familial. Cette réalisation
collective qui s'avère nécessaire et qui n'oubliera pas
de mentionner la nature et l'origine des documents consultés,
sera, nous en sommes convaincus, un outil de travail indispensable non
seulement au généalogiste amateur, mais aussi à tout
autre chercheur intéressé par les multiples facettes de
l'histoire de notre région; elle pourra être prolongée
par la consultation de documents postérieurs à 1789 pour
obtenir un ensemble plus complet.
Et n'oublions pas que si quelques-uns peuvent trouver rapidement dans
leur ascendance des familles nobles et illustres, la plupart d'entre
nous descendons des censiers, et c'est par eux que nous sommes pratiquement
tous "cousins".
Henri
DESCAMPS
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