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Hem, 1000 ans d'Histoire

Les censiers avant 1789



par Henri Descamps - GGRN

(lien vers contact GGRN)

Par son seul aspect généalogique, la recherche des censes et des censiers, c'est-à-dire des fermes et des fermiers de notre région, constitue un sujet passionnant et très étendu. Il n'est pas possible de le développer en peu de temps, c'est pourquoi cet exposé s'efforcera d'être avant tout une présentation limitée à des constatations générales tirées de recherches dispersées.
La cense, c'est le cadre de la vie du censier, lieu privilégié de son travail, source de sa richesse, berceau de l'épanouissement, du rayonnement et de la force de sa famille.

Quelle est l'origine du mot CENSE et sa signification ? :
Il faut remonter au Moyen-Age, à la naissance et à la mise en place des institutions féodales pour constater que le CENS, d'origine romaine recouvrant une signification plus ancienne que l'on retrouve par exemple dans "recensement", était une redevance fixe, le plus souvent en argent, que le paysan exploitant d'une terre qualifiée de censive payait à son seigneur propriétaire. Les terres "à labeur", c'est-à-dire les champs, ainsi que les bâtiments nécessaires à leur mise en valeur et la résidence du censier étaient selon la formule d'attribution en usage "baillés à titre de cense ferme et louage..."; ferme, au sens de sûr, solide, définitif, devint par la suite un nom qui se substitua au cours du XVIIIème siècle à celui de cense.

Dans le paysage rural, les censes tenaient une grande place. Très souvent, elles étaient édifiées, du moins les plus importantes à l'écart des agglomérations et des chemins d'intense circulation, aux confins des territoires des paroisses, là où il y avait, à l'origine du peuplement, davantage de possibilité de mise en culture sans être entravé par les habitations.


La plupart des grandes censes portaient un nom. Citons par exemple celles de la Bourgogne, des Carrés, de Cocquignies, du Grand Fresnoy, des Passés, des Poutrains, de la Vigne ... sur la paroisse de Tourcoing. Des noms ont subsisté jusqu’à nos jours, certains ont totalement disparu, d’autres ont été remplacés. Ainsi une cense peut être connue sous plusieurs noms donnés à des époques différentes, notamment dans la zone limite entre le français et le flamand, l’un apparaissant comme la traduction de l’autre. Les noms de censes rappellent leur importance, leur situation, une partie remarquable de leurs bâtiments ou de ce qui en dépend, leur environnement par l’élément naturel dominant relatif au relief, à l’eau, à la végétation, une activité annexe comme la tuilerie, la brasserie, le moulin, la présence d’un animal caractéristique dans les parages ... Très souvent ces noms rappellent ceux des premiers propriétaires. Les censes plus petites, plus nombreuses aussi, n’avaient pas de nom écrit.

Les anciennes censes étaient souvent chefs-lieux de seigneuries; quelques-unes évoquent l'époque seigneuriale par leurs noms : le Châtel, la Court, la Salle, la Tour, la Motte, le Ploui ... La cense occupe alors la partie basse du périmètre de la maison forte du propriétaire, laquelle est devenue par la suite maison de plaisance, soit intégrée dans les bâtiments agricoles, soit bâtis sur un terre plein contigu distinct de celui de la ferme qui constitue avec les terres du domaine "le gros du fief", par opposition aux terres cottières, non nobles, qui y sont.rattachées et peuvent le compléter.

Vraisemblablement certaines censes ont dénommé à leur tour les premières familles de censiers qui les ont occupées. Elles ont assurément servi à distinguer certaines branches d'une même famille.

Ceux qui possèdent les censes sont de natures diverses. Ce sont les communautés religieuses : abbayes, églises collégiales, hôpitaux, commanderies, qui sont les plus grands propriétaires. On trouve ensuite des seigneurs laïques issus d'anciennes familles nobles, ou des anoblis, des magistrats, des fonctionnaires des administrations citadines, seigneuriales puis royales, des marchands des villes, des charités de pauvres, enfin des censiers qui, enrichis, ont acheté des terres et des petites censes qu'ils louent à d'autres censiers appelés "petits occupeurs", et qu'ils transmettent à leurs héritiers qui les conservent parfois et qui baillent leurs parts à l'un d'entre eux.

Quelles sont généralement les modalités d'attributions des censes ? :
La cense se louait et se transmettait de deux façons possibles : par réservation ou par adjudication. Le bail pouvait préciser par une clause au contrat la réservation à l'un des enfants du censier, cité par son prénom, "à l'exclusion de tout autre" ; parfois, il était stipulé que si cet enfant, garçon ou fille, venait à mourir avant ses père et mère sans avoir été marié et avoir eu descendance légitime, la cense reviendrait à un autre des enfants dont le prénom était lui aussi écrit. Ou bien, c'était à l'un des enfants sans autre spécification.

En règle générale, si le père, ou la mère qui a également le droit de cense, est encore vivant mais dans un âge avancé, c'est le dernier enfant qui, à son mariage, devient à son tour censier ou censière. Le transfert du droit de bail avec son narfait, c'est-à-dire l'achèvement de sa durée normale précisée par l'acte de location en référence, est fait en faveur du futur couple, et indiqué, la plupart du temps dans le contrat de mariage, en accord avec le propriétaire, en attendant la rédaction d'un nouveau bail. Les enfants précédents ont été établis comme il se devait, en faisant en sorte qu'ils trouvent à leur mariage célébré une autre.cense. On a pu voir des censiers, à un moment donné, occuper plusieurs censes pour les réserver à certains de leurs enfants, dans l'attente de placer les autres en les mariant à des fils, des filles ou des veuves de censiers, assurés d'exploiter des censes en renom.

Si le père et la mère décèdent tous les deux en laissant des enfants non mariés mais suffisamment âgés, c'est l'ainé, garçon ou fille, qui reprend la cense. Celle-ci continue ainsi à se transmettre verticalement, de génération en génération.
Si l'un des deux conjoints meurt et si l'autre se remarie, la cense est exploitée par le nouveau couple, et on a affaire à une transmission horizontale, et il n'est pas rare de constater un écart d'âges important entre le mari et la femme, aussi bien d'un côté comme de l'autre; la différence totale entre le début et la fin d'une chaine peut correspondre, suivant sa longueur, à un décalage d'une ou de deux générations.
Si les enfants sont tous mineurs au décès de leurs père et mère, c'est un tuteur, membre de là famille ou ami, ou celui qui était caution à l'application du bail, qui assure l'intérim. Quelquefois, on remarque un passage de l'oncle au neveu, ou à un cousin; ainsi la cense ne sortait pas de la famille.
La cense est vacante lorsqu'à la mort ou au départ du censier en exercice, sa reprise n'est pas prévue ou si elle est refusée par ceux qui étaient susceptibles de s'y installer. Ce phénomène fut fréquent durant les périodes d'épidémies et de guerres notamment vers 1650 : l'insécurité quasi permanente causée par la présence des troupes armées qui pillaient et ne laissaient que des ruines après leurs passages répétés, et l'incertitude de se retrouver le lendemain encore en vie et dans une situation matérielle sauvegardée amenaient certains laboureurs à "se déporter de leur droit de bail" et à "remettre" la cense "entre les mains" du propriétaire parce qu'ils s'étaient appauvris et qu'ils n'arrivaient plus à payer les "rendages", c'est-à-dire les loyers. ou bien, sans prévenir, ils "abandonnaient" leur cense ; ils étaient déclarés "fugitifs", et les terres restaient .momentanément en friches.

Lorsque le censier est insolvable et ne peut payer ses rendages, sa caution doit le suppléer, sinon l'endetté "vend" au propriétaire des rentes héritières hypothéquées sur ses biens fonciers. Si le mauvais payeur ne veut pas quitter la cense, il en est expulsé, une action en justice étant entamée, ses biens sont saisis et vendus aux enchères, et le créancier se rembourse sur le produit de la vente.
Pour trouver un nouveau censier, le propriétaire procède à l'adjudication de son domaine en location, publiée sous forme d'affiches placardées dans toutes les paroisses des environs. Après la mise aux enchères du montant des loyers, le bail revient au plus offrant, dernier enchérisseur à la fin du marché. Si le preneur pense ne pouvoir tenir ses engagements, le contrat est annulé avant son entrée dans l'exploitation, et on recommence l'adjudication jusqu'à ce que le propriétaire ait trouvé un censier. Si les bâtiments sont détruits, les terres sont parfois louées à plusieurs laboureurs : ce morcellement était imposé par l'état dans lequel se retrouvait économiquement le monde rural après les désastres. La construction par la suite d'édifices sur les nouveaux lots devait être une opération lucrative pour le propriétaire qui augmentait ainsi les revenus de son domaine tout en faisant payer des loyers moins élevés à chacun de ses censiers.

C'est aussi l'occasion pour de nouvelles familles issues d'un milieu paysan plus modeste, de tenter leur chance en entrant de cette manière dans le cercle relativement fermé des gros censiers qui contrôlaient la mise en valeur d'une grande partie des terres agricoles, sans passer par les alliances matrimonia1es qui en assuraient l'existence et la continuité.
L'accroissement de leur population et la difficulté qui en résultait de trouver des censes vacantes dans un secteur proche contraignirent certains censiers à émigrer et à s'implanter dans d'autres régions, en Flandre au XVIIème siècle, autour de Courtrai, d'Ypres ou de Furnes, et dans le Hainaut au XVIIIème siècle, près d'Ath et de Mons, par exemple, alors que d'autres, appauvris, quittèrent le métier de laboureur pour s'établir au village dans le commerce ou l'artisanat, avant de devenir au fil des générations, leur situation matérielle continuant à se dégrader, des journaliers.

Le laboureur censier est donc celui qui tient une cense. Seuls les bâtiments et les terres appartiennent au propriétaire. Les meubles, le matériel nécessaire à 1'exploitation, les bestiaux, les semences, les récoltes ... constituent la richesse du fermier.
Le gros censier est au sommet de la pyramide paysanne. Il ne travaille pas vraiment lui-même la terre, sauf exception. Il est le maitre, il ordonne, il surveille, il
dirige des employés, parents, domestiques, saisonniers ; c'est chez lui que d'autres laboureurs trouvent un complément de travail leur permettant de vivre. Il passe beaucoup de son temps à la ville voisine pour le règlement de ses affaires : il vend et achète sur les marchés, il este en justice... Il place ses bénéfices dans des rentes, acquiert des terres et des petites censes qu'il fait exploiter par
d'autres; parfois un fief entré en sa possession lui donne un titre seigneurial dont il aime user dans sa vie publique. Comme il est instruit, il sait souvent lire, écrire et compter, il est le receveur de domaines plus étendus et perçoit les redevances, en particulier la dime, et les loyers, qu'on lui a affermés. Il exerce d
es charges administratives et remplit des fonctions policières au sein de la communauté de son village, comme bailli, lieutenant, échevin, homme de fief, ou juge rentier selon les lieux et les structures. Dans l'une de ces qualités, il disposait, notamment au XVième siècle, d'un sceau personnel pour la signature des actes. Il peut être à son tour, sans que cela soit aussi un privilège relatif à sa condition sociale, collecteur des impôts, ministre de la charité des pauvres, marguillier de l'église de sa paroisse dans laquelle il se fait inhumer avec les siens, après avoir eu soin de fonder par des donations des messes anniversaires ou obits pour perpétuer sa mémoire, tout en assurant le repos de son âme. Il est aussi bourgeois forain de la ville la plus proche où certains de ses enfants s'installent, comme marchands brasseurs ou boulangers ; quelques-uns.y obtiennent parfois des offices de magistrats qui peuvent.les anoblir. D'autres enfants entrent en religion. Cette évolution sociale n'est propre qu'à une minorité. Les intérêts communs sont protégés et renforcés par une habile politique matrimoniale qui resserre les liens familiaux entre les censiers dans un cadre géographique qui ne reste pas rigide, mais dont la forte endogamie engendre un cousinage très marqué, peu facile à démêler et à suivre.

Le censier est donc un gestionnaire qui songe avant tout à maintenir ou à améliorer sa situation matérielle et à préparer celle de ses enfants. De véritables dynasties ont joué ainsi un rôle dominant à l'intérieur d'une cense, d'une paroisse ou d'une région.

Si des études approfondies ont été faites sur les fiefs de notre région, complétées par des généalogies des familles nobles ou notables qui les ont possédés, rien de comparable et de systématique n'a été entrepris; semble-t'il, pour les fermes et les familles de laboureurs qui les ont occupées. Aussi, après avoir effectué des recherches sur cet aspect assez méconnu du monde rural, en particulier avant 1789, et devant la quantité de renseignements recueillis progressivement et la richesse de leur contenu, notamment dans le domaine généalogique, quelques membres du G.G.R.N. dont je suis ici le porte-parole, ont décidé de procéder à un regroupement méthodique de ce qu'ils ont trouvé en constituant une sorte de fichier encyclopédique ou statistique des censiers par cense, accompagné de tableaux généalogiques de façon à mieux comprendre les relations qui existaient entre eux au niveau familial. Cette réalisation collective qui s'avère nécessaire et qui n'oubliera pas de mentionner la nature et l'origine des documents consultés, sera, nous en sommes convaincus, un outil de travail indispensable non seulement au généalogiste amateur, mais aussi à tout autre chercheur intéressé par les multiples facettes de l'histoire de notre région; elle pourra être prolongée par la consultation de documents postérieurs à 1789 pour obtenir un ensemble plus complet.

Et n'oublions pas que si quelques-uns peuvent trouver rapidement dans leur ascendance des familles nobles et illustres, la plupart d'entre nous descendons des censiers, et c'est par eux que nous sommes pratiquement tous "cousins".

Henri DESCAMPS

 
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