ÿþ ... A la Bourloire commencent les affaires sérieuses, et les responsabilités de chacun. Ces messieurs "tombent" la veste (je veux dire les Oncle Léon, Louis et Edmond la redingote, Père et l'oncle Edouard la jaquette - la jaquette fait "plus jeune" - et apparaissent tous en gilet blanc et pantalon à damier). Louis et Edouard organisent les camps adverses dont on désignera le chef, et dont l'effectif se constitue d'après les désignations alternées. C'est un choix savant, où le chef doit procéder à un certain dosage de "pointeux" et de "tapeux", car les nécessités forceront, suivant les dispositions variées du jeu, à intervenir parfois en finesse, parfois en force. Et, sur une piste relevée sur ses deux côtés et qui se développe sur une vingtaine de mètres, les parties se déroulent pleines d'imprévu - le jeu se joue à boules aplaties - la première partie se joue par boules alternées, boule rouge, boule verte. Le camp qui a placé la boule gagnante mène ensuite le jeu (c'est-à-dire dispose toutes ses boules) et garde le commandement aussi longtemps qu'une boule adverse mieux placée ne le lui aura pas ravi. Et c'est tout un art pour le chef de camp que de disposer son jeu. Chacun a deux boules à jouer. Le Chef de camp jouera la première pour "placer" (c'est-à-dire l'acheminer le plus près possible du "Mai" ou touffe de feuillage situant le but. Il gardera l'autre boule en réserve pour boucher les éventuelles lacunes et améliorer la couverture de son jeu. La tactique consiste à avoir le plus rapidement possible une ou deux boules bien placées, et à couvrir celles-ci par d'autres placées en chicane, et destinées à "casser" le parcours des adversaires. Toutes les boules étant ainsi jouées par le camp ayant la priorité, le chef de camp adverse examine les dispositions du champ de bataille dans lequel il aura à évoluer. Il en observe les forces et les faiblesses. Il voit si les approches du "Mai" sont bien gardées, et s'il ne peut pas, par un savant "coup de quat'rives" contourner les défenses et insinuer la boule gagnante. Ou, si cela ne lui paraît pas possible, si les positions adverses sont trop denses et trop compactes, il fera intervenir un "tapeux" pour aérer le jeu. Heureux alors est-il si une boule nerveuse et bien centrée permet de déblayer quelques obstacles gênants et de découvrir la boule adverse la mieux placée. Une seconde intervention permettra, peut-être, de déplacer celle-ci et de la faire glisser au-delà du Mai. Alors ce sont de s trépignements ... "A boule c'est jo" - ce qui veut dire qu'il suffit de venir "mourir" contre la dite boule adverse pour lui enlever la place. Ces dames, assises sous les tonnelles qui bordent la bourloire, en retiennent leur respiration et en interrompent leurs causettes. Alors, intervient le chef de camp assaillant qui, tout bien pesé, tout bien examiné, lance sa boule suivant un parcours savamment étudié, et la suit à petits pas pour l'influencer du regard et la conduire comme par la main, là où elle doit en s'affaissant procurer la victoire à son camp. Par ces passes successives d'attaque et de défense, l'intérêt subsiste et rebondit, et ce jeu passionnant retient grands et petits jusqu'à l'heure où la maîtresse de maison, responsable du souper, arrive à reprendre en main son effectif de convives. ...